D’anciens employés de la CAF se sont confiés à RFI pour décrire la grande influence de la Fifa au sein de la Confédération africaine de football pendant le premier mandat de Patrice Motsepe. Une influence incarnée par le tout-puissant secrétaire général de la CAF, Véron Mosengo-Omba.
Salma et Roger (1) ont occupé des postes importants au sein de la Confédération africaine de football pendant quelques années avant de quitter le navire, déçus, dépités, emportant leurs désillusions dans leurs cartons. « Je suis arrivé à la CAF en tant que passionné de sport et ayant la conviction que le sport, en particulier le football, peut servir de moteur pour développer une partie du continent africain », explique Roger. Mais au moment de mettre des mots sur son expérience à la CAF, il dira : « C’est la plus grosse désillusion professionnelle de ma vie ».
Celui qui a occupé un poste élevé dans l’organigramme juridico-administratif de la CAF estime avoir été « témoin direct de l’ingérence » de la Fifa sur le fonctionnement de l’instance dirigeante du foot africain. « La Fifa avait par exemple installé une personne dans le bureau Finances de la CAF. Cette personne avait non seulement accès à toutes les informations financières, ce qui n’est déjà pas normal, mais toutes les factures devaient être validées et signées par elle. »
« Des gens de nationalité suisse ou italienne décidaient à la CAF »
Salma qui a passé un peu plus de deux ans à la CAF et qui a vu arriver Patrice Motsepe confirme: « La réalité est que la gestion au quotidien de cette maison était complètement contrôlée par la Fifa. Pendant les deux années où j’ai travaillé à la CAF, je n’ai vu le président Motsepe que deux fois au bureau au Caire. Et quand il venait, il ne passait pas la nuit au Caire. Pour quelqu’un qui avait l’ambition de diriger la CAF avec une expertise africaine, cela a tourné court. On s’est retrouvé avec des personnes de nationalité suisse ou italienne qui décidaient de l’avenir de la CAF. »
Pour le journaliste ivoirien Mamadou Gaye, qui vit en Afrique du Sud, les prémices de cette influence de la Fifa étaient déjà présentes lors de l’élection de Patrice Motsepe. « C’est la Fifa qui a géré l’élection et a tout mis en place, ce n’est un secret pour personne. Car après les résultats financiers catastrophiques du mandat d’Ahmad Ahmad, la Fifa avait même contacté Moïse Katumbi pour diriger la CAF, mais ce dernier avait des ambitions politiques pour son pays, la RDC », affirme le journaliste.
Pour celui qui a collaboré avec la CAF lors des années Hayatou, puis Ahmad et ensuite Motsepe, le président de la Fifa, Gianni Infantino, avait l’ambition certes de trouver la bonne personne pour redynamiser la CAF, mais il lui fallait quelqu’un également pour sécuriser les votes africains en sa faveur lors des élections à la présidence de la Fifa en 2023 et 2027.
Après avoir fait élire Patrice Motsepe grâce au « protocole de Rabat », la Fifa a donc proposé -« imposé », insiste Gaye – au nouveau président les services de Véron Mosengo-Omba qui sera nommé secrétaire général de la CAF. L’ancien directeur des associations nationales de la Fifa, né au Congo et de nationalité suisse, devient très vite le personnage central et un président-bis à la CAF. « Quand vous cessez de gérer 211 associations pour venir diriger les 54 associations parmi les plus pauvres du monde, c’est que vous êtes en mission », estime Gaye.
Un management « autoritaire »
« Dans le cadre de diverses procédures judiciaires, la FIFA avait accès à tout par Véron et ses proches collaborateurs. Elle assistait même à des réunions, raconte Roger. Je me souviens d’une réunion à laquelle les avocats de l’autre partie avaient demandé : ‘’ Pourquoi la Fifa est-elle présente alors que nous signons un contrat avec la CAF ?’’. La Fifa était présente à tous les niveaux, et avant mon départ, ils voulaient même intégrer le système ERP (2) de la CAF à celui de la Fifa. »
Au-delà de l’omniprésence de Véron Mosengo-Omba, c’est le management de ce dernier qui est critiqué, « autoritaire » pour Salma, « toxique », selon Roger.
En novembre 2024 par exemple, le magazine Jeune Afrique pointait « une méthode de management peu éthique qui a poussé des cadres à la démission et fait traverser des périodes de dépression à certains. » De son côté, début février 2025, le quotidien Le Monde révélait qu’une employée s’était « notamment plainte ‘’de harcèlement’’ et ‘’ d’intimidation’’ en vue d’obtenir sa démission du Bureau des opérations de la CAF. »
Roger affirme être parti « en dépression de la CAF à cause de Véron ». « Il n’avait aucun respect pour ses collaborateurs », accuse-t-il.
« Plusieurs personnes ont eu des soucis de santé mentale, ajoute Salma. Personnellement, c’était compliqué avant mon départ et je n’ai ni reçu ni ressenti le moindre soutien de la part du secrétaire général et de son équipe proche ».
Contacté par RFI, la CAF n’a pas donné suite à la demande d’interview pour recueillir la version de Véron Mosengo-Omba. « En ce qui concerne le secrétaire général, tout ce que je dire, c’est qu’il n’est coupable de rien », a tenu à défendre le responsable de la communication de la CAF, Luxulo September.
« Véron a réussi un excellent travail à la CAF »
Aujourd’hui, les conséquences du management de Véron Mosengo-Omba remontent de plus en plus aux oreilles du président Motsepe. Le 12 mars prochain, l’homme d’affaires sud-africain sera réélu pour un deuxième mandat à la tête de la CAF. Le début d’un nouveau cycle sans Véron ?
Mamadou Gaye ne serait pas surpris par un départ du secrétaire général de la CAF. « Motsepe, est l’un des plus grands managers en Afrique et il est à l’écoute des gens avec qui il travaille. Il a récemment reproché à ses collaborateurs de ne pas lui dire ‘ »honnêtement tout ce qui se passe ». Logiquement, le mandat du secrétaire général se termine en même temps que celui du président. Cette fois-ci, ce n’est pas comme la première fois où tout s’est fait avec des négociations sous la table. Là, Motsepe a son comité exécutif et logiquement, selon les statuts, la reconduction ou la nomination du secrétaire général doit passer par le comité exécutif. Celui-ci et son président vont apprécier s’il y a de nouveaux noms, si on doit reconduire l’ancien SG ou si on doit le remercier pour les services rendus . »
Mais pour un collaborateur de l’actuelle équipe de la CAF, la tendance forte serait tout de même le maintien de Mosengo-Omba au poste de secrétaire général. « Il n’y a aucune raison que Véron parte si on le juge sur les résultats de son travail depuis qu’il est arrivé à la CAF », défend cet officiel bien introduit au sein de la Confédération africaine de football. Regardez les résultats de la dernière CAN ; une belle compétition, avec zéro problème d’arbitrage, des stades remplis, des recettes exceptionnelles. On a fait une CAN en Côte d’Ivoire avec les standards des compétitions européennes et mondiales. C’est le changement qu’on voulait à la CAF non ? On peut donc tout reprocher à Véron, sauf d’avoir réussi un excellent travail à la CAF ».
Contactée sur la question de l’influence de la Fifa, la CAF par la voix de son responsable de la communication, Luxolo September, renvoie au bilan de Patrice Motsepe. « Tout le monde est d’accord qu’il a accompli de grandes choses en quatre ans. Il a trouvé une dette de 140 millions de dollars à la CAF. Il l’a non seulement effacée, mais il a permis d’amener plus d’investissements dans le football africain. Plus d’argent, plus d’inclusion. C’est ce qui a changé, l’argent rapporté par le football africain retourne en Afrique. Motsepe veut mettre en place une gestion durable à la CAF pour s’assurer que nous, Africains, nous prenions notre destin en main. Il a fait en sorte que les recettes de la CAN augmentent considérablement, que le football féminin soit plus compétitif et qu’il y ait plus d’argent. Et regardez le championnat scolaire, c’est Motsepe qui a sorti 10 millions de dollars de sa fortune personnelle pour lancer cette compétition. »
(1) Noms d’emprunts, ces ex-employés de la CAF ont souhaité garder l’anonymat.
(2) Un système ERP (Enterprise resource planning) est un type de logiciel que les entreprises utilisent pour gérer leurs activités quotidiennes telles que la comptabilité, les achats, la gestion de projets, la gestion des risques et la conformité, les informations, l’organisation, etc.
rfi